Crystal Maze VI

To Love a Bitch and a Fake
(état 1)

Préface

  • Paris
  • 08.03.2014

À l’invitation de la galerie Préface, le Crystal Maze est devenu une exposition éphémère interrogeant la figure des «faux-livres» au cinéma. Si les réalisateurs de films citent souvent la littérature au travers de romans-clés, ils peuvent parfois jouer de ces citations en fabriquant, littéralement, des livres qui n’existent pas.

Préface a accueilli une première collection de ces faux-livres reconstitués. Chacun d’eux apparaît dans un film particulier à un moment précis. Ce sont ces instants d’apparition, audio-décrits, qui tiennent lieu de cartels à un vide bavard, espace de toutes les projections possibles.

À ces faux-livres incarnés par leur maquette en blanc s’est ajoutée une bande sonore et une série d’objets, amorces à la figure spéculaire du faux-livre : le faux-écrivain de cinéma… Le Crystal Maze est la combinaison d’un soir de ces deux acteurs.

 

Curateurs :

Audiodescriptions :

  • Valérie C.

Montage bande-sonore et objets :

  • Romain Grateau

Maquettes en blanc :

C’est beau, que c’est beau, il veulent détruire ça, mais qu’est ce qu’il leur prend ils sont devenus fous ? Ils sont devenus fous. Ou alors c’est moi qui suis fou.
Je photographie, bon et après qu’est ce que je ferai de la photo ? Je la regarderai quand tout sera démoli ? J’en aurai pas le courage, c’est comme si je photographiais quelqu’un sur son lit de mort.
- Tiens, vous avez les yeux du même bleu que le bleu du tableau.
- C’est pas de ma faute !
- C’est vrai* non ? Toi qui aimes les yeux bleus, tu dois apprécier…
- Je n’ai jamais rien vu de pareil !
- C’est mystérieux, on dit que la peinture* est abstraite, mais c’est faux puisqu’elle ressemble à ses yeux.

Nous sommes des paires d’yeux. Des paires d’yeux effarées, égarées dans un monde d’objets. Nous sommes des yeux, des yeux clairs dont les commissures larmoient, dont les pupilles dilatées boivent le monde. Elles le boivent comme nous voulions boire la bière adolescents, en flot continu, sans déglutition, prouesse d’absorption sans portes, sans engorgement, incarnation du libre échange, destruction des frontières et des voies d’accès. Hommes en marche sans destinations autre que point final, se croisant sans se suivre, boudant les autoroutes, n’obéissant qu’à leurs polarités. Les yeux ne sont pas des péages, tout s’y engouffre dès qu’il se présente, sans attente, sans chacun son tour. Les yeux n’attendent pas pour voir, mais nous devons attendre pour dire, et avant, pour comprendre ce que l’on voit dans ce flot, ce tout, que les yeux n’ont de cesse de nous donner, sans répits.

Un œil c’est la lisse surface de l’escargot qui glisse sur le sol, membrane poreuse, baladeuse, qui lentement absorbe ce sur quoi il passe, le fait sien, l’ingère comme la lampe du scanner, le digère et le rejette. Un œil n’as pas la morphologie d’une bouche, qu’on mesure en y glissant son poing, situation ridicule de pesée d’une capacité d’ingérence volumique, quand l’escargot n’aurait qu’à se soucier de vitesse. Nos yeux sont nos membranes poreuses, s’exerçant à un balayage constant de ce qui les entoure, pour que dehors soit dedans. Et comme l’escargot ne découpe pas la feuille de salade d’une bande nette et précise, nous ne pouvons pas mettre tout le dehors dedans, et quand il rentre, il n’y reste que rarement.

Ce qui reste, est ce que nous voyons, la scorie nous hante, nous manque, nous voulons nous la remettre sous les yeux. C’est ainsi que nous retournons au cinéma, pour revoir le film, c’est ainsi que l’on a inventé la touche rewind.
Mais on ne peut pas revoir ce que l’on veut, car on ne peut pas oublier ce qui nous reste alors on ne regardera plus qu’en fonction du reste, l’augmentant dans une cosmologie, ou ne le regardant plus que lui.

Nous, nous regardons tellement que nous sommes de vastes décharges, labyrinthes chaotiques de fragments déformés, unique splendeur, à venir et passée, du château intérieur. Parfois la propriété est si belle que le rewind ne suffit plus à rendre l’éclat que la chose nous avait laissé ici. Parfois le débris en nous, n’est aimable que parce qu’il est au détours d’un chemin du parc, statue que l’on appréhende après des méandres de haies et d’essences, bois d’ébène et de roses, dont les parfums nous acclimate à voir la beauté complexe du bananier en fleur. Alors pour revoir ses surbrillances extatiques, pour n’en garder que le faible étincèlement, il faut parfois faire, jeter la statue, sortir les poubelles. Découper le film pour n’en laisser plus voir que le petit cœur qui palpite sur la table de dissection, animé d’un infime souffle, que milles yeux balayerons, et qu’un peut être gardera avec lui, avant de devoir s’en débarrasser, transformé en une autre forme balbutiante, sur un autre coussin, attendant que quelqu’un passe sur son chemin.
 
Et si l’absorption d’une bouche ne se rend que par la merde, celle des yeux nous amène à faire, à dire. Nous ne produisions que des scories du monde mais il n’est pas encore prouvé qu’elles puent.

— texte de Romain Grateau

Voir également :

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